Formation : une prise en charge si compliquée…

Entre stages non remboursés, tracas administratifs et consommation élevée, la prise en charge de la formation continue, dans la profession, est toujours aussi compliquée et aléatoire. Avec un avenir qui semble inéluctable : pour se former, les coiffeurs devront payer… toujours plus !

Alors qu’une grande réforme de la formation professionnelle (pour l’ensemble des métiers) vient d’être lancée, les choses semblent toujours aussi difficiles dans la coiffure. Ainsi, le couperet est tombé début novembre : Agefos PME, l’OPCA chargé du financement de la formation continue des salariés de la coiffure, a annoncé que les stages réservés à partir de cette date ne seraient plus pris en charge… Conséquence immédiate : nombre de chefs d’entreprises ont dû, ou bien renoncer à envoyer leurs salariés en formation, ou bien la financer sur leurs propres deniers (voir le courrier que nous avons reçu d’une lectrice, page 14).

Baisse graduelle des remboursements
Une décision qui fait suite à une diminution graduelle des critères de prise en charge au cours de l’année. Ainsi, à partir du 18 septembre, le plafond annuel (au titre du plan de formation) était déjà passé, pour les entreprises de 1 à 4 salariés, de 2 000 à 1 500 euros hors taxes, tandis que pour celles comptant de 5 à 9 salariés, il baissait de 3 000 à 2 500 euros hors taxes. L’année en cours est marquée par une nouvelle baisse : le plafond annuel, pour les entreprises comptant de 1 à 2 salariés, passe à 800 euros hors taxes ; pour celles de 3 à 4 salariés, il passe de 1 500 à 1 300,00 euros, et de 2 500 euros à 2 200 pour celles comptant de 5 à 9 salariés. Le taux horaire de prise en charge des formations techniques passe pour sa part de 25 à 23 euros. Ce qui veut dire que malgré la disparition de l’OPCAMS fin 2011 pour cause de collecte insuffisante – disparition qui a laissé nombre de formations non financées –, le problème n’est pas réglé pour autant. D’autant que la coiffure est une profession… qui se forme beaucoup ! Une bonne chose, mais qui a un coût. Franck Provost, président du CNEC et directeur du groupe Provalliance, rappelle que « les entreprises de coiffure ont des dépenses en formation 2,5 fois plus élevées que leurs cotisations ! Or on ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens éternellement… » « Les contributions des entreprises sont insuffisantes pour faire face aux besoins ! s’exclame Bruno Lefebvre, vice-président de la FNC en charge de la formation professionnelle. Du temps de l’OPCAMS, il y avait une mutualisation : les autres professions, qui se forment moins, payaient pour la coiffure. En 2013, Agefos PME a effectué une certaine mutualisation, mais elle n’a pas été suffisante. » « La mutualisation a pourtant porté sur plusieurs centaines de milliers d’euros, plaide Pierre Szlingier, secrétaire général adjoint du CNEC. La coiffure a longtemps profité du fait que d’autres professions se formaient peu, mais c’est une époque révolue. » Il met en cause également les prélèvements opérés par l’Etat sur les fonds versés au titre de la formation, passés de 10 % en 2011 et 2012 à 13 % en 2013 (ces fonds sont destinés au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, un organisme qui mène diverses actions en direction des salariés et des demandeurs d’emploi) ; la valse-hésitation, en 2012, du choix entre les deux OPCA (Agefos PME soutenu par le CNEC, et Opcalia qui avait les faveurs de la FNC), qui a conduit certaines entreprises à repousser à 2013 leurs actions de formation ; la baisse des fonds dédiés à la formation, liée à la baisse de la masse salariale (les entreprises cotisent sur un pourcentage de la masse salariale). Début 2013, certains salons se seraient par ailleurs trompés, en adressant leur cotisation à Opcalia alors qu’ils n’en avaient plus le droit, le choix en faveur d’Agefos PME étant fait. « Il revient à Agefos PME de les récupérer, est-ce fait ? interroge Bruno Lefebvre. De plus, la mutualisation au sein de la branche (les “gros” contribuant plus que les “petits”) fonctionne mal, car il y a peu de grosses affaires dans la coiffure. »

Premier arrivé, premier servi ?
En tout cas, ce qui est gênant dans cette situation, c’est qu’on a un peu l’impression que tout fonctionne sur le principe du « premier arrivé, premier servi » : les salons qui planifient les stages en début d’année ont donc de bien meilleures chances de se faire rembourser ! Reste aussi l’incertitude régionale, avec d’importantes différences dans le traitement des dossiers. Dans ce contexte, quelles solutions envisager pour l’avenir ? Une chose est sûre : le « tout gratuit » est derrière nous.Une des solutions serait d’augmenter les contributions des entreprises. Une fausse solution en fait, car elle est refusée en bloc par les salons tout comme par les syndicats patronaux ! Bruno Lefebvre plaide pour plus de mutualisation, « mais à coût constant ! » « Si les artisans étaient moins écrasés de charges, explique de son côté Franck Provost, ils pourraient déjà plus facilement consacrer de l’argent à former leurs salariés. Je propose par exemple qu’une entreprise qui s’engage à garder son apprenti bénéficie en échange sur le salaire de celui-ci d’une exonération totale de charges la première année, et de 50 % des charges la deuxième. Ce serait une bouffée d’oxygène financière… » La grande réforme de la formation professionnelle (pour l’ensemble des métiers) ne réglera de toute façon pas le cœur du problème. Les coiffeurs sont-ils, au fond, bénéficiaires du système, si l’on regarde la différence entre le montant de leurs cotisations et leurs dépenses en formation ? Peut-être, mais l’impression qui domine dans la profession, c’est une prise en charge de plus en plus limitée et aléatoire.
Catherine Sajno

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Du côté des chefs d’entreprises…

La prise en charge des stages management rencontre de nombreux obstacles.

Paradoxe : du côté des chefs d’entreprises, les formations les plus difficiles à prendre en charge sont… les stages de management ! Management entendu au sens large : gestion d’équipe, vente, communication, recrutement… En effet, comme nous le relations déjà dans le numéro 591 du 30 octobre 2012, le financement se heurte à une réglementation complexe, selon que les stages sont considérés comme « transversaux » ou non. Les stages de management « professionnel » doivent être pris en charge par le FAFCEA (l’organisme chargé du financement de la formation des chefs d’entreprises), tandis que les stages « transversaux » seront, eux, financés par le Conseil de la formation de chaque région (un organisme qui dépend des Chambres des métiers et de l’artisanat). Or à quoi assiste-t-on ? A des allers et retours, nombreux et fastidieux, entre Conseils de la formation et FAFCEA, qui se renvoient la balle, chacun avançant que c’est à l’autre de financer… Résultat : pour le coiffeur, une montagne de paperasserie et, bien souvent, des remboursements minorés, voire inexistants… Bruno Lefebvre, vice-président de la FNC et à la tête du Conseil de la formation de Haute-Normandie, tente de préciser les choses : « Un stage est considéré comme transversal s’il est transposable à plusieurs métiers (et même si ce jour-là il n’y a que des coiffeurs dans la salle…). Au contraire, un stage de management purement professionnel serait, par exemple, une formation d’animation d’équipe ou de relation à la clientèle dans le contexte d’un salon de coiffure ». Reste que les prises en charge sont compliquées, et aléatoires. « Chaque conseil de formation est maître chez lui, poursuit Bruno Lefebvre. Et, en effet, le FAFCEA qui finance un stage considéré comme transversal le fera s’il lui reste encore de l’argent… et à un taux réduit ! » Autre problème, soulevé par Erik Dumon (Educattitude) : l’arrêt de la prise en charge des « frais annexes » : transport, hôtel… quel que soit le type de stage. Etat de fait auquel certains formateurs, comme lui, pallient en se rendant le plus souvent possible sur site… « mais pas en salon, précise-t-il, car la formation du chef d’entreprise, autre bizarrerie, n’est pas prise en charge par le FAFCEA si elle se déroule sur le lieu de travail… même si le salon est fermé ce jour-là ! » Bref, il faut vraiment être motivé, en tant que chef d’entreprise pour se former. Quid de 2014 ? Le coût horaire maximum est de 22 euros hors taxe pour les stages techniques, ainsi que pour les formations de gestion et management spécifique, et de 18 euros pour les stages « qualité ». Pour ceux de gestion et management non spécifiques métier, la prise en charge horaire se limite à 11 euros hors taxe.

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« Trop d’offres sans valeur ajoutée sur le marché ! »
Olivier Dufresne (Saco Academy)
« Pour moi, le coiffeur se plaint sans raison, car quand on voit la différence entre le montant des cotisations et le coût de la formation… Nous sommes un des seuls pays où la formation est gratuite : dans nos Académies de Moscou, Londres… les gens se la paient ! Le premier stage que j’ai fait, à 16 ans, je l’ai financé moi-même et c’était pendant mes congés. Pour moi, le problème vient de ce que beaucoup suivent une formation sans être motivés, juste parce que c’est gratuit. De plus, beaucoup d’offres de formation sur le marché ne sont pas adaptées ou pas intéressantes. Notre Académie marche bien, car on s’adapte sans arrêt aux besoins du marché : beaucoup de nos stagiaires paient eux-mêmes leur formation, au moins en partie, car on est un peu cher… »

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« A quand un mouvement des coiffeurs type “Bonnets rouges” ? »
Isabelle Arnoux (Dont’Acte)
« La situation n’évolue pas… Pour les stages de chefs d’entreprise, les dossiers font 2 ou 3 allers et retours entre le FAFCEA et les Chambres des métiers, pour au final ne pas être pris en charge ou alors de façon minorée… Pour les stages concernant les salariés, les Agefos PME ne m’avertissent de rien, alors que je pratique la subrogation*. Les organismes de formation n’ont aucune visibilité, et ne peuvent donc pas conseiller leurs clients. D’ici quelque temps, les coiffeurs seront obligés d’envisager la formation sous un autre angle : n’envoyer en stage que les collaborateurs sur lesquels ils misent, et pas les autres, qui le vivent comme une punition. Augmenter les cotisations ? Pourquoi pas, mais surtout aboutir à un système moins opaque. Dans un de mes stages, les coiffeurs venant d’Epernay ont été remboursés, ceux de Paris non, alors qu’ils avaient envoyé leur dossier plus tôt ! Personne n’y trouve son compte, mais dans la profession, les gens ont tendance à renoncer : on voit les Pigeons, les Bonnets rouges… à quand un mouvement des coiffeurs ? »
*Subrogation : avance des fonds par l’organisme de formation.

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« Un manque de visibilité »
EriK Dumon (Educattitude)
« Pour les patrons, le problème du remboursement des stages de management tourne en boucle depuis plusieurs années. S’y ajoute la fin du remboursement des “frais annexes” (transport, hôtel) : du coup, je me déplace de plus en plus sur site. Concernant les salariés, pour moi Agefos PME est un bon OPCA, sauf qu’il y a trop de différences entre les régions, entre celles qui remboursent rapidement et celles qui mettent un temps fou à juste traiter les dossiers. Pour moi, Agefos PME a manqué de visibilité, et a constaté l’importante consommation de formation de la profession après en avoir hérité ! Beaucoup ne se servent pas des budgets, mais ceux qui le font s’en sortent bien. »

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« Ceux qui cotisent doivent en avoir pour leur argent »
Bruno Estatoff (Your Cut Academy)
« Notre Académie fonctionne bien, mais j’ai quand même dû annuler 2 stages faute de combattants. Agefos PME a prévenu notre directeur commercial des difficultés de remboursement : du coup, les coiffeurs annulent ou le financent eux-mêmes… Dans les années 80, les gens payaient leurs stages. Les temps ont changé, mais s’ils cotisent, ils doivent en avoir pour leur argent ! Condenser les stages sur les 6 premiers mois de l’année est impossible, et ne règlerait rien. »

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Formation professionnelle : une réforme d’envergure !
C’est dans la nuit du 14 décembre dernier que les partenaires sociaux sont arrivés –non sans mal !- à un projet d’accord sur la formation professionnelle. Parmi les points-clé : le DIF (Droit individuel à la formation) disparaît pour laisser la place au Compte personnel de formation. A la différence du DIF, celui-ci suivra le salarié tout au long de sa vie, même s’il change d’entreprise ou traverse des périodes de chômage. Il bénéficiera d’un certain nombre d’heures annuelles, à hauteur de 150 heures maximum sur 9 ans. Par ailleurs, le financement par les entreprises est totalement repensé, avec une contribution allant de 0,55% à 1% de la masse salariale, et une mutualisation au bénéfice des entreprises de moins de 10 salariés. Une mutualisation saluée, on s’en doute, par l’UPA, tandis que la CGPME s’oppose au texte, au motif que les PME seraient les grandes perdantes de cet accord. Prochaine étape : le débat au Parlement ou le passage de la loi par ordonnance.