Dans les années soixante, Vidal Sassoon a été le premier à déstructurer la carré et à ouvrir, grâce à lui, d’autres voies géométriques. Porté comme une arme fatale dans les années 80 par les fameuses working girls, le carré s’alignait sur le même plan que leurs larges épaulettes, et faisait un peu peur ! Aujourd’hui, rythme de vie trépidant oblige, le carré se taille en douceur pour pouvoir bouger et se replacer au millimètre. Une technique difficile qui ne s’improvise pas, mais qui s’adapte à toutes les longueurs. Pour Franck Avogadri, le carré se porte avec une frange longue, pièce maîtresse de la coupe. Elle part du point d’équilibre jusqu’au ras des cils et se trouve légèrement bombée. Il explique : « La frange doit toujours être dégradée pour que la base reste rectiligne et que le dessus puisse bouger. Je dégage les zones temporales afin de ne pas alourdir les paupières. C’est obligatoire, car les femmes ne se maquillent plus autant les yeux qu’au temps de Louise Brooks. » Sur cheveux mi-longs, il dégrade légèrement le dessus afin de conserver le mouvement. Et selon la forme du visage, il dégrade les mèches jusqu’aux pommettes, aux joues ou aux maxillaires, en laissant le reste des longueurs rectilignes. Ce qui permet à la femme de se faire aussi un chignon rapide tout en ayant le contour du visage coiffé. De son côté, Marianne Gray insiste sur la nécessité d’un cheveu sain et brillant. Avant la mise au carré, elle étudie méticuleusement ses clientes : « Il faut équilibrer les volumes par rapport aux épaules, à l’attitude du dos et à la longueur du cou. J’observe le port de tête. Si la femme a tendance à se pencher en avant, je dégrade les mèches de côté, si elle la penche en arrière, j’allège les mèches arrière. Je travaille en réalisant des séparations fines, afin de respecter le tombant naturel du cheveu. » Jean-Claude Gallon a, quant à lui, toujours eu des carrés à couper. C’est sans doute pour cette raison qu’il y a 4 ans, figuraient déjà dans son dossier de presse des coupes au carré avec de subtiles inégalités. Il était juste en avance, car ces derniers temps, il a aussi noté une demande plus forte. S’il maîtrise à la perfection ses techniques de carrés effilés aux pointes ou en dents-de-scie, carrés bombés, ou plats, il va plus loin en expliquant à ses clientes la gestuelle adéquate. « La gestuelle permet de contrôler le volume. Avec les mains, la femme peut, d’un mouvement simple, placer ses mèches, créer un désordre ou un contraste de matière. Le carré, c’est un «naturel surveillé». Si la femme apprend quelques gestes, elle peut ensuite, en deux mouvements ou trois touches de cire, varier sa coiffure », explique-il.
Selon Laurent Decreton, le carré est revenu grâce à la mode de la frange épaisse. « Les femmes ont alors eu envie de volumes pleins et ont été séduites par le côté intemporel du carré. Sa structure n’est pas trop courte, juste en dessous des maxillaires, il bouge, et contient une certaine force. » Le plus difficile à réaliser ? Laurent répond sans hésiter : « Sa juste longueur. Trop court, il donne un air mutin, peu seyant aux plus de 25 ans, trop long, il perd son graphisme. Tout réside dans les proportions, c’est ce qui en fait une coupe passionnante », confie-il. Si en Europe le carré s’allie à la mode, qu’en est-il au pays du Soleil Levant ? Le Japon le connaît en effet depuis la nuit des temps, puisque c’était la meilleure façon de mettre en valeur les cheveux asiatiques. Massato qui avait présenté un carré mi-long bordé d’un rouge flamboyant en 1994 et qui possède des salons à Paris et au Japon est formel : « Après une période où les Japonaises ont boudé le carré pour les boucles, il revient en force, de façon très stylisée. Là-bas, les femmes ont d’ailleurs abandonné les balayages clairs pour renouer avec la couleur noire de jais. C’est le bon moment pour le proposer car le phénomène dépasse nos frontières ». Le carré déferle aussi chez les coiffeurs à caractère anglo-saxons. Chez Medley, à Paris, Patrick Ahmed observe la recrudescence de la demande : « Surtout des carrés droits, raides et plongeant avec des franges épaisses et plus larges. Du coup, j’adapte les couleurs et propose des teintes unies et brillantes afin de mettre en valeur les lignes. » Une nouvelle féminité, en somme, composée de pureté et de douceur. Eric Roman, lui, explique : « Les filles de 20 ans voient le carré comme quelque chose de révolutionnaire. Elles adorent ceux un peu rock, c’est-à-dire plongeants avec les pointes un tout petit peu effilées qui offrent du mouvement. On est bien dans l’épure, mais pas encore dans le minimalisme ». Donato, coiffeur en salon et en studio avance une théorie sur cet engouement : « Les femmes éprouvent le besoin d’une nouvelle affirmation, elles souhaitent séduire à nouveau les hommes. Or, le carré rassure, c’est une valeur sûre, au même titre que le tailleur Chanel!»
Quel que soit l’outil choisi, Ivan Beauchemin, créateur de CPI Formation, ne cesse de préconiser depuis 30 ans un principe fort : l’ergologie. C’est la position qui fait tout : le bon geste comme la bonne pratique contribuent à préserver les articulations. Par abus de langage, on pourrait même affirmer qu’un bon coup de main démarre… du pied, le fondement même de l’équilibre. Une approche qui ne surprendra pas l’adepte d’arts martiaux, mais qui a longtemps suscité un intérêt mitigé dans la profession. Aujourd’hui, avec l’explosion des TMS (troubles musculo-squelettiques), ce concept s’impose. La posture du coiffeur, la prise de l’outil (et plus encore du séchoir, plus lourd par nature), la mobilité sont aussi importantes que l’angle de coupe lui-même. « C’est d’autant plus vrai que des ciseaux mal tenus et une mauvaise position du corps font perdre de la précision à la coupe ou entraînent des mouvements intempestifs », remarque Didier Becault. Très gênant, alors que les coupes géométriques reviennent au goût du jour : à la base, pour les réaliser, un bon geste du coiffeur, fluide et précis, s’impose.