La revente de produits professionnels par les distributeurs est un sujet sensible, presque tabou. Et pourtant, la plupart d’entre eux ont toujours vendu au public, même en petites quantités, dans des boutiques, surtout lorsqu’elles sont situées en centre-ville. Depuis quelques années, des magasins affichant clairement leur offre au particulier se développent, ce qui commence à irriter nombre de coiffeurs. Ceux-ci répugnent à « croiser leur cliente » chez son fournisseur et souhaiteraient conserver l’exclusivité de la vente de leurs produits. Les professionnels parisiens, eux, ont découvert le phénomène des boutiques à destination « mixte » ou du grand public depuis moins de 2 ans, avec l’arrivée discrète de « La Boutique du Coiffeur » mais aussi les ouvertures, plus remarquées, de « MGC » ou de la nouvelle unité « Cyra Lydo », rue de Rivoli. Depuis plusieurs années, le mouvement progresse partout en France. Didier Gouiran, distributeur sur le secteur de Montpellier, résume assez bien la situation : « Cette tendance a émergé il y a des années, et c’est seulement maintenant que les Parisiens se réveillent, quand ils sont concernés ! » Nathalie Pennetier, de Pro Duo, décrit l’agencement des 24 boutiques françaises de l’enseigne : « Il y a 2 espaces, un professionnel et un destiné à la revente, semblable à celui qu’on peut trouver chez un coiffeur, sans offre de produits techniques, donc. La vente au public reste accessoire, représentant moins de 10% de notre activité, et le particulier n’a pas connaissance des tarifs appliqués aux professionnels, ils ne sont pas affichés. » Les unités « Pro Duo » sont légèrement excentrées, installées dans des zones commerciales. « C’est aussi le vœu des coiffeurs, certains d’entre eux aiment se déplacer pour acheter leurs produits et faire quelques courses ! » explique-t-elle. Mais des dizaines de petites boutiques purement locales se multiplient de façon plus discrète, inexorablement, toutes n’ayant pas la même retenue que les grandes enseignes en termes de tarification. Car les grossistes qui jouent officiellement la carte de la « double distribution » affichent généralement des prix sages, proches de ceux qui sont préconisés pour les salons, hors promotions ponctuelles. PAS DE CONCURRENCE DÉLOYALE, MAIS UNE MARGE PLUS ÉLEVÉE. Cependant, Philippe Real, de Coopéré, trouve « anormal que certains grossistes ouverts au public puissent cumuler leur marge distributeur et celle théoriquement dévolue au coiffeur ». « La grille tarifaire des marques devrait davantage tenir compte de la destination des produits qui leur sont commandés », insiste-t-il. Mais, finalement, tout cela n’affecte pas vraiment la revente en salon, car elle reste faible, représentant généralement moins de 7% du chiffre d’affaires… « Il est vrai que, dans ce domaine, la majorité des coiffeurs n’est pas très motivée, regrette Philippe Lecrosnier, de Coiff’Idis. Pourtant, le mieux, pour eux et les consommateurs, serait d’avoir de véritables boutiques au sein des salons, comme on en voit en Europe du Nord. Car pour les distributeurs, l’avenir n’est pas dans la vente au particulier. » La concurrence réelle ne vient donc pas des grossistes mais bien des pharmacies et de la grande distribution, qui commercialisent l’essentiel des shampooings, soins et coiffants. Mais le pire, c’est lorsque certains baissent les prix ou font des promotions quasi constantes. Et de ce côté-là, le danger est plutôt lié… aux sites Internet, étrangers mais aussi français, à l’instar de la boutique en ligne de Pascal Coste. L’offensive est également menée par… des coiffeurs, soucieux de développer un espace revente, en cassant les prix. DES PRIX À LA BAISSE ? L’exclusivité tombe, les prix pourraient suivre ! Certains d’entre eux envisagent très sérieusement de rogner sur leurs marges en mettant sur pied des concepts incluant un véritable coin boutique. Objectif : beaucoup de ventes, donc plus de volume, et, en conséquence, plus de remises. En conclusion : des prix encore plus bas ! Stéphane Amaru, à Paris, lance une nouvelle unité s’inscrivant dans cette logique : « Ce sera un centre de formation en début de semaine, moment où nous travaillons le moins, un salon en fin de semaine, et une boutique tout le temps, avec des tarifs attractifs. » Reste la frange inévitable des francs-tireurs, les plus agaçants : les distributeurs qui laissent entrer tout le monde, autorisant le particulier à bénéficier du prix de gros. Dans ce cas, la parade est assez simple : il suffit d’afficher un prix de détail conforme au tarif appliqué chez le coiffeur et un prix par quantités qui donne droit à une remise. Une tactique valable uniquement pour les produits de type revente, car les achats par le public de produits techniques (permanente, coloration) sont de toute façon interdits : leur dosage en principes actifs est incompatible avec une utilisation par des non-professionnels. L’ACHAT MALIN SE DÉVELOPPE « Le particulier un peu débrouillard qui se sert chez les grossistes a toujours existé, mais cela doit rester l’exception, avertit Philippe Lecrosnier. Il y a une vraie place pour des boutiques, mais surtout celles qui vendent des accessoires coiffure et des articles d’esthétique, parfois mal distribués ; c’est un véritable créneau, mais il s’agit d’un autre métier. Celui de distributeur implique notamment un service d’expert et une force de vente qui aille au-devant des coiffeurs. Quant à brader les produits professionnels… Le particulier qui recherche uniquement le moins cher finira toujours à l’hypermarché ! » Et pour ce qui concerne la frange des anciens CAP ayant quitté le métier, des amateurs avertis et des élèves qui coiffent leurs relations, les centaines de petites boutiques pas trop regardantes sur l’origine de leurs clients sont du pain bénit, même s’ils se débrouillaient déjà sans elles ! Mixer les deux publics -coiffeurs et particuliers- reste donc un exercice délicat, dont se sortent assez bien « La Boutique du Coiffeur », « Beauty Coiff » et quelques enseignes de même facture. Mais, en général, quand la vente au particulier domine, le professionnel se fait plus rare, ne venant que pour quelques dépannages. DES FABRICANTS APPAREMMENT PEU CONCERNÉS Aux dires de certains distributeurs, les marques, après avoir mollement réagi ou pire -certaines ont même accompagné ce mouvement-, commencent à essayer de limiter les dérives en réduisant les rabais qu’elles leur accordaient sur les produits habituellement disponibles à la revente en salon. En parallèle, elles compensent par une augmentation des réductions sur les produits techniques qui, eux, ne peuvent être proposés qu’aux coiffeurs. Mais ce qu’aucun fabricant n’osera déclarer officiellement, c’est que cette expansion des boutiques était quasi inévitable, vu le peu d’entrain des salons à développer la revente, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. Et Philippe Real d’observer : « On peut comprendre que cette distribution trop éclatée déplaise aux coiffeurs. Dans ce cas, à eux de choisir les marques qui jouent le jeu et leur réservent l’exclusivité professionnelle. » Car le plus agaçant, pour ces derniers, est de présenter une gamme, d’apporter du conseil et de fidéliser le client à la marque… pour le voir l’acheter ailleurs ! Cependant, pour Philippe Real, qui s’appuie sur les données du réseau Panel Vision, la persévérance paie : en effet, les coiffeurs suivis ont réussi à maintenir leur chiffre revente .