Ce n’est pas la panique, mais presque.. Kassprix coiffure, un nouveau salon, vient d’ouvrir ses portes à 10 numéros de chez vous. Et sa stratégie est claire : jouer les prix bas pour attirer un maximum de clients. Comment réagir ? Et justifier le maintien de tarifs décents face aux collaborateurs et aux clients ?
Tout coiffeur en a fait un jour la -désagréable- expérience : voir s’installer autour de lui un, voire plusieurs salons, qui pratiquent résolument la politique des bas prix. Pas facile, dans ce cas, de rester zen. «En fait, c’est un phénomène récurrent qui remonte, dans l’inconscient des coiffeurs, aux années 70», décrypte Isabelle Arnoult, à la tête de la société de formation Dont’Acte. Flash back : dans les années 70, les tarifs étaient contrôlés, avec des salons classés par catégories (A, B, C). Puis les prix ont été libérés, on a assisté à toutes sortes de hausses, parfois exagérées, il faut bien l’admettre. La franchise est alors arrivée, jouant souvent sur les prix attractifs. Les coiffeurs indépendants se sont alors remis à baisser leurs tarifs, «et depuis, c’est la guerre des prix, philosophe Isabelle Arnoult. Du coup les coiffeurs ont gardé une sorte de complexe à faire payer leur service.» Un syndrome qui touchait de plein fouet Jocelyne Blain, aujourd’hui à la tête de deux salons Plein Sud à Valence et Lyon. «Installée à Valence sous la bannière d’une franchise à bas prix en 1994, je les ai quittés en 1997 en repensant complètement mes méthodes de travail pour passer à autre chose.» Mais Jocelyne, soucieuse de fidéliser sa clientèle, et confrontée à des confrères «à bas prix», est alors «frileuse» et conserve pendant quelques années les mêmes tarifs. Au péril de sa rentabilité, car il est difficile d’offrir un service de qualité à prix cassés.
ZEN, RESTER ZEN
Que faire dans ce cas de figure ? Réflexe numéro un : ne pas paniquer. Et se rappeler que les coiffeurs ne sont pas tous des concurrents. En effet, sont en concurrence directe seuls ceux qui offrent le même niveau de prestation. Là, c’est le moment ou jamais d’envoyer une «cliente mystère» se faire coiffer chez Kassprix. «Mais attention, prévient Isabelle Arnoult, on choisit quelqu’un qui n’est pas du métier, car les coiffeurs n’ont plus le regard de la cliente lambda ! Et la personne part munie d’un questionnaire bien pensé et objectif.» Car l’idée n’est pas non plus de se faire tresser des lauriers à tout prix.
Une fois identifié le type de prestation qui est délivré chez «l’autre», l’idée est bien sûr de peaufiner ses points forts : attention portée au client, développement de «services plus» très qualitatifs (soins...), formation (de soi-même et des collaborateurs)... «A mon avis, note Philippe Grosjean, directeur associé de l’organisme de formation Pilotis et co-animateur de stages pour L’Oréal Professionnel, c’est le moment ou jamais de jouer la prise en charge complète et qualitative, de pousser le sur-mesure au maximum.» En revanche, si le concurrent est moins cher tout en proposant une qualité de service identique voire supérieure (mais c’est rare), il n’est pas interdit non plus de se remettre en question...
Vis-à-vis des collaborateurs, «le rôle premier du manager, c’est d’éviter de transmettre ses peurs», juge Isabelle Arnoult. Bien au contraire, il importe de faire prendre conscience aux salariés que remettre en cause la qualité du travail serait un calcul à -très- court terme. Et de leur faire prendre conscience, aussi, de la véritable valeur ajoutée du salon, en les faisant participer à une réflexion autour d’un thème tel que : «Que pouvons-nous faire, ensemble, pour que nos clients, s’ils vont dans l’autre salon, n’aient qu’une envie : retourner chez nous ?»
METTRE EN VALEUR SES ATOUTS
Vis-à-vis de la cliente, pas de complexe. Bien sûr, la clientèle pour les très bas prix existera toujours, c’est un créneau. «Mais différentes enquêtes sur le commerce en général, et la coiffure en particulier, montrent que les consommatrices sont en demande de sécurité et d’une relation personnalisée», poursuit Philippe Grosjean. «Le coiffeur a tout à gagner à jouer sur les valeurs de proximité, d’innovation, de différenciation.»
Cela dit, les actes marquent plus que les paroles : mieux vaut démontrer qu’expliquer. Première étape : on commence par la vitrine, premier outil de communication du coiffeur. En évitant le côté «petit commerçant», et en faisant le choix de coller aux saisons et aux collections. A l’intérieur du salon aussi, on crée des envies nouvelles grâce aux événements que l’on organise et à la PLV.
Il ne faut pas hésiter, sans en faire trop, à mettre en avant les actions que l’on entreprend : formations, plateaux, nouveaux services... S’il existe un prix d’appel, par exemple sur le shampooing-coupe-brushing, on ne le sacrifie pas ; mais on évite de brader ses points forts, type service technique pointu. De toute façon, si on va trop à contre-image, la consommatrice finit par ne plus s’y retrouver. Et nous à perdre sur tous les tableaux !
PAS DE PROJECTION
Mieux vaut se préparer à être -un jour- titillé sur le prix. «Même si c’est inconscient, la cliente a tendance à exercer une sorte de chantage au niveau des prix car elle sait que c’est le talon d’Achille du coiffeur», observe Isabelle Arnoult. «Parfois, c’est aussi une tentative de manipulation, pour obtenir une remise par exemple.» Là, on travaille son sens de la répartie (voir encadré) : plutôt que de se cantonner dans une attitude défensive, on amène les clients à s’interroger sur le pourquoi de la différence de prix.
Attention aussi à ne pas trop se projeter dans la tête des clientes en croyant anticiper leurs réactions. Après avoir suivi des cours de management, Jocelyne a finalement décidé d’augmenter -un peu- ses tarifs. «Je m’attendais à une levée de boucliers... qui ne s’est jamais produite ! Au contraire, des clients m’ont dit : «Vos prix correspondent à la valeur de vos prestations.» Elle qui avait l’impression que les gens venaient dans son salon attirés par les petits prix, a réalisé qu’elle dévalorisait son travail avec ce type de raisonnement. «Mais attention, j’ai fait beaucoup de stages, j’ai repensé ma gestion des collaborateurs, bref j’ai misé sur la qualité du service pour maintenir une cohésion entre la prestation et le prix.»
«Contrairement à ce qu’on croit, il y a beaucoup moins de fuites de la qualité vers la quantité que l’inverse», nous rassure Philippe Grosjean en guise de conclusion
MANUEL DE SURVIE EN MILIEU HOSTILE
- face aux remarques des clientes, Isabelle Arnoult suggère la méthode TOQ (Transformer l’Objection en Question). Ex : «vous êtes cher !» «D’après vous, pourquoi sommes-nous un peu plus cher que le salon Kassprix ? qu’est-ce que vous trouvez de différent ici ?» Ou alors, plus basique : «Cher ? par rapport à quoi ?». Mais surtout ne pas nier, façon sur la défensive : «Mais non, on n’est pas cher !»
- Vanessa est partie en stage ? au lieu de répondre abruptement : «Elle n’est pas là avant jeudi» à la cliente qui la réclame, pourquoi ne pas préciser : «Elle est en formation sur les nouvelles tendances couleur» ? ça n’est pas du tout perçu de la même manière...
- À éviter : dénigrer bassement le ou les salons environnants. La cliente n’y verra que ragots et basses manoeuvres.
- et enfin, relativiser. A-t-on déjà vu un bon restaurant baisser ses prix parce qu’un Mac Do s’installait à côté ?