Beau, pratique, confortable et résistant ! Le mobilier de coiffure doit aujourd’hui répondre à de nombreux critères parfois difficiles à concilier. C’est tout un art, qui implique le retour au sens premier du design, et mobilise les concepteurs autour de ce qui reste avant tout un outil. Le design, ce n’est pas qu’une histoire de look, c’est avant tout une philosophie. Et les professionnels du domaine de rappeler une règle fondamentale : un objet conçu selon ce principe doit avant tout être pratique à utiliser. Marcel Dassault aimait marteler son credo : « Un bel avion vole bien ! » Pour le mobilier de coiffure, le beau découle aussi de la fonctionnalité. Un principe un peu perdu de vue, sans doute, après la grande vague du design « vulgarisé », qui a pu en édulcorer le sens profond. Même le bio-design, qui s’est bel et bien inspiré de la nature pour l’élaboration de ses formes, a parfois oublié le côté pratique. On a vu fleurir des formes plus carrées, pas vraiment conçues en fonction de la morphologie des utilisateurs.
PAS DE CONFORT SANS ERGONOMIE
« Les démarches actuelles en matière de mobilier vont beaucoup plus loin que le simple confort, constate Vanessa Ghorayeb, de Cindarella. Aujourd’hui, la réflexion est globale : le confort pour le client, c’est un minimum, mais il faut aussi se pencher sur l’ergonomie de l’outil de travail du coiffeur. Nous nous concentrons sur cet axe depuis 2 ans. Le bac et le siège ne sont pas que des objets de décoration, ils sont destinés à une utilisation quotidienne, qui ne doit pas nuire à votre santé. Tout doit être fait pour éviter l’apparition de troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les coiffeurs, qui sont très touchés par ce problème, notamment en améliorant leur position de travail. » Le secteur semble de plus en plus exigeant quant à l’ergonomie du poste de travail. Cette évolution ne peut que ravir Rodolphe Bourdet, de Kiela : « C’est, depuis longtemps, une approche privilégiée dans les pays du nord de l’Europe, et plus particulièrement chez nous, aux Pays-Bas, où les normes en vigueur sont très sévères. Il y a aujourd’hui une prise de conscience à l’échelle européenne. L’ergonomie est une contrainte que nous avons même conceptualisée à l’aide des logiciels utilisés en amont, pour vérifier la pertinence des nouveaux produits étudiés. » Grégory Gohill, de Gamma MG Bross, pense aussi que look et confort restent indissociables ; c’est une question de cohérence au niveau de l’image que le salon de coiffure veut donner : « Tout doit concourir à améliorer le côté ”sensoriel” de l’aménagement ; c’est notre priorité depuis 2008. Le mobilier doit être beau, mais si, pendant 20 minutes, la cliente se sent mal à l’aise, on passe à côté de la question. Nous avons agrandi les coussins et travaillé les formes afin d’assurer un bon maintien du dos. Nous essayons d’apporter d’autres plus ”sensoriels” grâce à des bacs massants et à la luminothérapie. Le design présente un autre avantage, que l’on oublie parfois : on passe énormément de temps sur son lieu de travail ; s’il est agréable et bien conçu, on sera plus heureux et plus efficace ! Nous avions pris beaucoup de retard dans ce domaine, par rapport aux hôtels, aux restaurants et à nombre de concept stores. »
LE MOBILIER COMME OUTIL ET OBJET MARKETING
Reste que tous ces petits plus proposés pour faciliter la vie des clients ou des coiffeurs peuvent entraîner un surcoût de la facture. « Avec la crise, nous avons constaté un net ralentissement de la demande des bacs les plus évolués, remarque Danielle Cierlak, de Coopéré. Désormais, les systèmes à bascule, faciles à manipuler, les cuvettes plus profondes, avec mitigeur interne, et, dans une moindre mesure, l’assistance par moteur électrique sont entrés dans les habitudes. Si les restrictions de budget peuvent concerner les équipements massants et électriques, le confort ne peut plus être sacrifié. On se recentre sur les fondamentaux : plus de bling-bling, mais du blanc, du noir et des coloris doux, pour du mobilier dont la qualité doit être visible. » Pour Lucien Rasa, de Jacques Seban-Car Diffusion, ce retour aux fondamentaux n’est pas une surprise : « Les repose-jambes, les systèmes de massage et tout ce qui alourdit trop la facture n’est plus beaucoup d’actualité, en ce début d’année. Mais, déjà auparavant, cela ne concernait au maximum que 10% à 20% de la demande. Peu de salons sont prêts à investir 7 000 euros dans un bac ! Il faut se concentrer sur une offre accessible et adaptée à la majorité des salons. Nous avons toujours privilégié la durabilité des produits et le recours à des accessoires utiles, comme la pompe hydraulique de classe 4 (de qualité supérieure). C’est un sacré élément de confort pour le client et le coiffeur. » Pourtant, les fournisseurs de mobilier constatent que la France est en retard sur ce point. « Désormais, près des trois quarts de nos ventes de sièges concernent des sièges avec pompe, observe Vanessa Ghorayeb. Mais à l’export, c’est 100% ! » Et Danielle Cierlak : « Pour nous, c’est plutôt un tiers des ventes. Certains font un compromis en s’équipant de pompes à gaz, plus difficiles à régler, ou en installant des sièges sans pompe à des postes moins utilisés. En Allemagne, 95% de l’équipement est pourvu d’une pompe hydraulique ”blocable” ! » Mais une bonne pompe peut faire facilement grimper de 200 euros le prix d’achat, l’équivalent du coût d’un deuxième siège classique… Alors, beaucoup hésitent. Dans la même veine, il semblerait que les coiffeurs oublient de se ménager au poste de coupe, en s’équipant assez peu de tabourets, alors que, justement, les pathologies liées à la station debout prolongée sont légion dans la profession.
REPENSER LES MÉTHODOLOGIES
Concernant les mauvaises postures, Danielle Cierlak constate : « Les jeunes femmes qui arrivent dans la profession sont plus grandes, il faut donc pouvoir adapter les réglages afin de permettre à tous les gabarits de travailler correctement. Quant aux clients… il est de plus en plus nécessaire de prévoir des assises plus larges ! » Selon Rodolphe Bourdet, cela implique une recherche constante : « Une cuvette trop grosse, qui oblige le coiffeur à se pencher, n’est pas forcément idéale. Des dispositifs de réglage fin de la position permettent à celui-ci de procéder à l’ajustement avec une seule main, sans perdre le contact avec le client ; cela fait plus ”pro” et évite de passer son temps à se pencher ! Il ne faut jamais oublier que notre matériel est manié en majorité par des femmes, il ne doit pas être lourd. Il faut penser à tout : ainsi, des fauteuils de coupe larges, de forme carrée, c’est bien, mais cela peut réduire la fluidité des mouvements du coiffeur. Nous étudions les réglages relatifs à l’inclinaison des sièges, leur positionnement dans l’espace, etc. L’ergonomie du lieu de travail est plus complexe qu’il n’y paraît. Le mobilier représente un double investissement : au niveau de l’image du salon, et de l’outil de travail. On ne peut en effet comparer un siège ”basique” avec un siège dont l’assise en mousse injectée, de densité variable, s’adapte exactement à l’armature. L’expérience ne sera pas la même. » Et Vanessa Ghorayeb de conclure : « Le look et le confort sont incontournables. Maintenant, il faut penser au coiffeur : comment utilise-t-il son poste de travail, peut-il bien positionner ses pieds lors de son travail au bac, de façon à ne pas se retrouver trop penché, en déséquilibre ? Comment accède-t-il à ses outils ? On a fait la promotion des soins prolongés, avec massage au bac, pour les clients, mais ne faudrait-il pas prévoir un tabouret pour que les coiffeurs puissent travailler plus confortablement ? Ce sont parfois des habitudes qu’il faut changer. » Dans ce même ordre d’idées, le fabricant italien Maletti a présenté en exclusivité, lors du dernier Cosmoprof, un nouveau prototype de bac tout confort (pour le coiffeur comme pour le client !) : avec ses trois positions réglables, Madre a en effet été spécifiquement conçu pour réaliser des soins profonds. Les pistes s’avèrent donc nombreuses, et promis, désormais, les clients ne seront plus les seuls à se faire chouchouter !
L’ERGONOMIE ET LA SANTÉ, UNE OBLIGATION LÉGALE !
Les normes européennes ne sont pas encore très contraignantes pour le mobilier professionnel. Pourtant, en France, en 2002, la Cour de cassation a renforcé la responsabilité de l’entreprise en matière de maladies professionnelles (dont font partie les fameux troubles musculo-squelettiques, ou TMS), en réaction à l’évidente négligence constatée dans l’utilisation de l’amiante. L’employeur a désormais une obligation de résultat : le respect des normes légales ne suffit pas, il doit prévoir les risques éventuels et trouver des solutions efficaces ! Dans le cas contraire, ce manquement a le caractère de faute inexcusable. Théoriquement, la Sécurité sociale peut alors se retourner contre l’employeur. Le problème est identique pour les allergies et les maladies respiratoires liées à une mauvaise pratique professionnelle, même si l’aspect multifactoriel de ces affections rend la reconnaissance comme maladie professionnelle plus délicate à obtenir.