Classiquement, le prix d’un fonds de commerce s’exprime en pourcentage du chiffre d’affaires annuel (hors taxes). Un moyen commode, pour l’artisan, de se repérer. Reste que l’examen des ventes récentes montre de telles disparités entre les prix réellement constatés qu’on ne peut raisonner que par fourchettes assez larges : de 55 % à 85 % en région parisienne en ce moment, avec une moyenne à 70 %… et des pointes à 100 %, voire plus ! « Le chiffre de 70 % n’est que le résultat d’une statistique, avertit Pierre Benazech (Cabinet J. Besson, Paris 1er). Et comme toute statistique, elle ne détermine rien. Ce n’est pas parce qu’un mariage sur deux se termine par un divorce que, sur deux couples qui se connaissent, l’un va forcément exploser ! »
BEAU QUARTIER, PETIT LOYER, LES INGRÉDIENTS GAGNANTS
En fait, si l’évaluation d’un fonds reste de préférence effectuée par un professionnel, il existe des pistes de réflexion intéressantes à connaître pour un coiffeur. En gros, pour établir le prix de vente d’un fonds, les agents immobiliers prennent en compte plusieurs critères. Pierre Benazech les divise en critères « fixes » et « variables ». « Pour moi, les paramètres fixes sont : la surface, l’emplacement, la situation locative. Concernant la surface, il est plus facile de développer une affaire lorsqu’on a une place suffisante ; inversement, un local trop grand pourra avoir du mal à ”se remplir”. » Bref, un juste milieu est préférable. L’emplacement est, lui aussi, un critère important. En région parisienne par exemple, pas de surprise au niveau des beaux quartiers de la capitale (8ème, 16ème, 17ème) : ils sont toujours prisés. S’ajoute à cela la « boboïsation » de certaines zones autrefois considérées comme « populaires » : le 11ème, le 10ème… Concernant la banlieue, la cote est bien entendu très différente selon la commune, l’éloignement de Paris, les transports… quitte à ce que les préjugés persistent. « Il reste, par exemple, très difficile d’installer dans le 93 (Seine-Saint-Denis) quelqu’un qui n’en est pas originaire, à cause de la surmédiatisation de ce département, observe Baptiste Pottier (Cabinet B. Pottier, Paris 2ème), alors que ceux qui y vivent savent bien que certains coins sont porteurs. » Autre paramètre à prendre en compte : la situation locative, c’est-à-dire le montant du loyer, la date d’échéance du bail… Toutes choses égales par ailleurs, un loyer peu élevé est évidemment un avantage, qui valorise le fonds, car il s’agit là d’une dépense qui va perdurer. De plus, les écarts entre loyers faibles et importants se creusent ; en effet, hormis les cas de déplafonnement, qui sont d’ailleurs strictement encadrés par la loi, les hausses régulières se calculent en pourcentage du montant : les petits loyers augmentent donc… peu. « Pour moi, le loyer idéal se monte à 7 % à 8 % du chiffre d’affaires hors taxes, 10 % au maximum, analyse Vincent Lépinay (Cabinet J. Raymond, Paris 1er). A une époque, pour minimiser l’investissement de départ, certains coiffeurs, notamment des franchisés, ont accepté des loyers dits ”à l’américaine”, à savoir des fonds sans droit d’entrée mais avec des loyers très chers. Eh bien, ces affaires ont aujourd’hui du mal à trouver preneur ! » « Si j’ai déjà vu de petits loyers augmenter, en revanche, je n’ai jamais vu de loyer élevé diminuer », sourit pour sa part Pierre Benazech.
RENTABLE OU NON ?
Parmi les critères évolutifs listés par Pierre Benazech, on trouve l’état de la boutique, le chiffre d’affaires et la rentabilité. Si le salon a été récemment rénové, le fonds peut bien évidemment se négocier plus cher que si le repreneur doit d’ores et déjà changer le mobilier, voire refaire l’électricité ! Le volume d’affaires, lui aussi, sera examiné à la loupe. « Pour évaluer un fonds, note ainsi Vincent Lépinay, je me fonde sur le chiffre d’affaires des 2 ou 3 dernières années, ainsi que sur celui de l’exercice en cours ! En effet, certains changements peuvent avoir un impact direct sur celui-ci : par exemple, une coiffeuse qui s’en va. » D’où l’importance, soulignée par Baptiste Pottier, de continuer l’exploitation comme si on n’était pas vendeur !
Enfin, la rentabilité compte évidemment : on ne valorise pas de la même manière une affaire qui gagne de l’argent qu’une autre qui atteint à peine l’équilibre. Les cabinets d’expertise-comptable Fiducial ont ainsi développé une approche basée sur la rentabilité : « Il faut qu’un fonds de commerce rapporte ! » souligne Olga Romulus, expert-comptable dans ce réseau. Le cabinet s’intéresse à l’excédent brut d’exploitation (EBE), qui représente le bénéfice avant l’amortissement de l’outil de travail, et donne donc une bonne idée de la rentabilité de l’affaire. Cet EBE n’est pas pris en compte tel quel, mais analysé et retraité, afin de mesurer la véritable capacité du salon à créer des richesses. « En effet, le montant de l’EBE peut être aussi fonction d’éléments anormaux ou liés à la stratégie ou à la situation personnelle du chef d’entreprise, poursuit Olga Romulus. Par exemple, le loyer du local est parfois très bas tout simplement parce que le propriétaire est la belle-sœur du coiffeur… L’EBE est alors artificiellement élevé, et on sait qu’en cas de changement de locataire, le loyer sera forcément réévalué. » On arrive ainsi à l’EBE « normatif », que le salon devrait « normalement » réaliser. « On se demande ensuite quelle est la probabilité de retrouver ce résultat pendant 1 an, 5 ans, 10 ans… ? » poursuit Olga Romulus. Ainsi, si les collaborateurs risquent de partir, si le bail est sur le point d’être renégocié… le bénéfice a moins de chances de rester au même niveau que si l’environnement est stable. « Cela nous permet donc d’appliquer un coefficient compris entre 0 et 10 », explique-t-elle. Selon cette approche, le prix du fonds est évalué comme un multiple de l’EBE.
ACHETER UN POTENTIEL
Par ailleurs, certaines situations particulières entraînent des modes de calcul spécifiques. « Par exemple, dans le cas d’affaires existant depuis moins de 2 ans ou tout récemment reprises, note Baptiste Pottier, je raisonne surtout par rapport au coût d’installation : des travaux sont-ils nécessaires ? Quelle est la valeur du mobilier ? Ou bien, concernant des entreprises manifestement sous-exploitées, qui ont du potentiel et un faible loyer, ces deux éléments sont davantage pris en compte que l’exploitation pour fixer le prix du fonds. J’ai l’exemple d’un salon dans le 8ème, de 60 m², vieillissant, avec une activité réduite mais dont la coiffeuse se contente, pour un loyer dérisoire de 5 000 euros l’année mais un droit au bail assez important. » Autre cas particulier, celui de quartiers très commerçants, par exemple à Paris les Ternes, Chaussée d’Antin ou le Faubourg Saint-Antoine : « Dans ces coins, il y a beaucoup de demandes pour d’autres commerces, observe Vincent Lépinay. Pour un coiffeur qui vend, le chiffre d’affaires compte donc peu, car l’activité du local risque de changer. » Au total, différentes approches, mais un point commun : l’intérêt d’intégrer une analyse multifactorielle pour être au plus près de la réalité et des attentes du marché.
FONDS DE COMMERCE : QUELLE CONJONCTURE ?
Mais ce marché, aujourd’hui, quel est-il ? « Les vendeurs sont influencés par les prix de l’immobilier logement, qui sont à un niveau très élevé en ce moment, observe Vincent Lépinay. Mais ce n’est pas la même chose pour un fonds de commerce, qui aura suivi l’évolution de ce que son propriétaire en a fait. » Pour Pierre Benazech, « le prix des fonds évolue dans le même sens, 18 mois à 2 ans plus tard, que celui de l’immobilier ; ça ne veut pas dire pour autant que c’est dans des proportions identiques ». D’après Baptiste Pottier, « entre septembre 2008 et septembre 2010, la demande de fonds à acheter était faible, même si, à Paris, elle a toujours été constante. Depuis le mois de septembre, on a noté une montée du nombre des acquéreurs sur toute l’Ile-de-France. » Mais pas d’emballement : « Pour moi, les prix des fonds se maintiennent. Il y a 10 ans, les acquéreurs étaient prêts à faire des folies, ce n’est plus le cas maintenant », poursuit Vincent Lépinay. « De façon générale, observe Olga Romulus, je constate un durcissement dans la négociation, ainsi qu’un décalage entre les attentes des vendeurs, qui souhaitent valoriser le résultat d’une longue vie professionnelle, et les possibilités des acquéreurs, parfois jeunes. » Selon Pierre Benazech, dans un proche avenir, la balle sera plutôt dans le camp des vendeurs : « On a assisté à une légère reprise en fin d’année, liée au dénouement de problèmes politiques et sociaux, comme le vote de la réforme des retraites. Et ceux qui sont concernés par le papy-boom estiment que leur affaire n’a pas à être bradée pour autant ! » Et de conclure : « Tant qu’il y aura des cheveux qui poussent… je serai optimiste pour la profession ! »
Catherine Sajno
IMMATRICULATIONS D’ENTREPRISES DE COIFFURE EN 2009 :
• 4 700 créations (dont 50 % de coiffeurs à domicile)
• 2 000 reprises
Source : Fiducial
UN SALON ET UN APPARTEMENT : UN VRAI PLUS ?
Certains salons, surtout en région et en banlieue, se vendent accompagnés d’un logement, par exemple situé au-dessus. Une possibilité souvent considérée comme un vrai « plus » par le vendeur. Mais les choses ne sont pas si simples. Si l’appartement correspond aux vœux du repreneur, pourquoi pas. « Mais parfois, ça n’est pas du tout le cas, par exemple pour des questions de taille du logement, souligne Olga Romulus (Fiducial). Et puis, certaines personnes n’ont pas envie de vivre au-dessus de leur lieu de travail, d’autant plus que dans la coiffure, on n’a pas besoin d’être là au petit matin. Ce n’est pas la boulangerie ! » Reste la possibilité, pour le repreneur, de louer le logement. Mais tous ne s’y prêtent pas : nécessité de traverser le salon pour accéder à l’appartement, par exemple… voire salon intégré dans un pavillon !