Un local déjà agencé, une clientèle existante... décider de reprendre une entreprise est souvent vécu comme le choix de la sécurité. Même si ce n’est pas aussi évident qu’il y paraît.
«Trouver le bon emplacement, un local... pas évident !» assure Jérémy Blanc («Jérémy coiffeur» à Civray, dans la Vienne). «Et pour moi qui n’avais que 23 ans, c’était plus rassurant de ne pas partir de zéro.» Pour beaucoup, reprendre un salon, c’est moins compliqué que de créer une affaire de A à Z. Compte aussi, surtout dans les agglomérations très peuplées en salons, le désir de ne pas «en ouvrir encore un de plus», synonyme de partage du gâteau.
«Les banques sont plus confiantes dans le cas d’une reprise», assure Jocelyne Blain (2 salons «Côté Sud» à Lyon et Valence), qui a connu les deux. Elles vous suivent plus facilement.» Et elle glisse un argument plus inattendu : «Les confrères, dans le quartier, voient d’un meilleur oeil la reprise d’une affaire existante, plutôt que la création qui leur apporte un concurrent supplémentaire. A Lyon, j’ai été agréablement surprise de l’accueil ! Et pour moi, c’est important de bien s’entendre.»
C’est aussi s’assurer une certaine sécurité, surtout lorsqu’on est très jeune. Comme la plupart des coiffeurs rencontrés, Eric, qui pour ouvrir «La Goutte d’Eau» à Toulouse a repris un salon homme vieillissant, le souligne : «Commencer avec un noyau de clientèle existante, même si j’amenais aussi la mienne, c’était rassurant». D’ailleurs, reprendre un fonds de commerce, c’est racheter un emplacement, mais aussi, et avant tout, une clientèle.
Un argument immédiatement battu en brèche par Didier Mogica, directeur de l’antenne «région parisienne» du Cegeco: «C’est ce qu’on croit ! Les clients sont attachés à une équipe, un coiffeur, un esprit. En cas de rachat, c’est l’occasion pour eux d’aller voir ailleurs, surtout à l’heure actuelle. Donc, à moins de vouloir implanter un concept très voisin, l’idée de racheter une clientèle est largement illusoire.» Et au vu des chiffres, difficile de le contredire. «18 mois après, je dirais que 30 % des anciens clients du salon continuent de venir», estime Eric. «Chez moi, 70 à 80% ont cessé de fréquenter le salon», juge pour sa part Frédéric (salon «La maison du coiffeur» à Nantes). Cela dit, ça peut aider pour le démarrage. Et même plus longtemps si on ne change pas radicalement l’esprit du salon. «Moi j’en ai conservé pas mal, mais parce que j’ai gardé une démarche voisine», note Jocelyne.
IMPOSER SON CONCEPT
Collaborateurs, travaux, communication... Créateur ou repreneur, il faut savoir s’imposer !
Autre point important : les collaborateurs. Car quand on reprend un salon, pas question de composer sa propre équipe ! «Quel âge, quelle formation ont ces collaborateurs déjà en place ? Quels contrats de travail ? Comment ont-ils été négociés? Ce n’est pas toujours simple», avertit Didier Mogica. «A Lyon, j’ai choisi de reprendre un salon entre autres parce qu’avec mon affaire à Valence, je ne peux pas être sur place constamment», développe Jocelyne. «Avantage : les deux salariées avaient déjà une clientèle. Mais on ne s’est pas choisies, j’ai senti des réticences au début, style «avant on fonctionnait comme ci et comme ça».» Jocelyne a donc joué sur l’écoute, et aussi sur les trainings pour les former aux produits qu’elle avait choisi d’utiliser. «En cas de reprise, il faut bien compter une année pour que l’équipe soit «d’aplomb» ; je pense que c’est plus rapide pour une création», conclut-elle.
De plus, lorsque l’idée est de parvenir à un concept différent du salon repris, gros travaux et transformation des locaux sont souvent au programme. «Beaucoup de reprises s’assimilent dans les faits à des créations», confirme Didier Mogica. Ainsi, Eric et son salarié ont «tout changé : on a notamment cassé deux cloisons, pour agrandir». Même chose chez Jérémy, qui a «changé la déco vieillotte, qui ne me correspondait pas.» Les investissements peuvent donc être lourds. «C’est aussi parce que je misais beaucoup sur le lieu que je n’ai pas envisagé une reprise», souligne Moreau Alumno («Vue sur l’Ill» à Strasbourg).
Enfin, si une démarche proactive de communication est indispensable quand on crée une affaire, pour se faire connaître, elle l’est tout autant en cas de reprise si l’on décide de faire évoluer le concept. «J’ai participé au Salon du Mariage, j’ai fait de la pub dans le journal local...» se souvient Jérémy.
FINANCES : PESER LE POUR ET LE CONTRE
Rachat d’un fonds versus paiement d’un «droit au bail», loyer, impôts, charges sociales... Alors, reprise ou création ? A vos calculettes pour déterminer la formule, pour vous, la plus rentable !
On peut se poser la question : si c’est pour ne conserver que 30 % de l’ancienne clientèle, parfois moins, transformer le salon existant, alors pourquoi reprendre une affaire ? Car s’il varie en fonction de la ville, de l’emplacement, etc., de toute façon, le rachat d’un fonds, c’est un investissement ! Sauf que... la création s’accompagne aussi du versement d’un «droit au bail» ou «droit d’entrée» qui peut aujourd’hui flirter avec le prix d’un fonds de commerce ! «Dernièrement, j’ai visité un local, certes situé dans l’hypercentre de Nantes, confirme Frédéric. Le droit d’entrée à acquitter atteignait 1,5 fois le prix que m’a coûté mon fonds de commerce ! Et le loyer est le triple de ce que j’acquitte actuellement.» Reste effectivement le problème du loyer. Gilles Thibout est à la tête de l’agence immobilière Dupuis, spécialisée dans la coiffure. «Je vends des fonds de commerce, alors on peut dire que je prêche pour ma paroisse, sourit-il, mais il faut savoir qu’en reprenant un salon déjà existant, on peut tomber sur un loyer moyen voire modéré. ça existe encore ! Alors que pour un local identique, aujourd’hui le loyer risque d’être bien plus élevé.» En effet, les loyers commerciaux n’ont pas manqué de suivre la flambée générale de l’immobilier. Conclusion : lors d’une reprise, à surface et emplacement égaux, ils sont souvent inférieurs. «Certes le droit d’entrée peut être un peu moins élevé que le prix d’achat du fonds, poursuit Gilles Thibout, mais au bout de 7 ans le fonds est financé, alors qu’un loyer élevé, c’est définitif !»
«Aujourd’hui, sur le plan comptable et fiscal, il n’y a plus de grosses différences entre la création et la reprise», juge Didier Mogica. C’est dû notamment à la loi sur l’initiative économique, connue sous le nom de «loi Dutreil». En effet, la fiscalité sur les plus-values lors des cessions a été largement allégée, grâce au relèvement du seuil d’exonération. Bien sûr, cet impôt est à la charge du vendeur, mais dans les faits, celui-ci le reporte sur le repreneur en l’intégrant dans le prix de vente. Désormais, dans les entreprises de prestations de services, au-dessous de 90 000 euros de chiffre d’affaires annuel l’exonération est totale, et partielle entre 90 000 et 126 000 euros de chiffre d’affaires. D’autre part, la donation de l’entreprise à un salarié est exonérée de droits de
mutation à concurrence d’une valeur de 300 000 euros (auparavant, les droits de mutation pouvaient atteindre 60 % de la valeur totale !). Enfin, les droits d’enregistrement portant sur les cessions de parts sociales ont été alignés sur ceux frappant les entreprises individuelles : 4,80 %.
Auparavant, les créateurs d’entreprise devaient s’acquitter durant la première année de charges sociales calculées de manière forfaitaire, sans lien avec leur activité réelle, et «régulariser» au cours des deuxième et troisième année. Quant aux repreneurs, ils poursuivaient l’activité et donc le paiement des charges. Désormais, tout nouvel entrepreneur (qu’il soit créateur ou repreneur) peut demander à ne pas payer de charges sociales au cours des 12 premiers mois, et opter pour un étalement progressif durant les 5 années suivantes. Bref, les statuts s’harmonisent.
Alors, création ou reprise ? A chacun de se décider, en toute connaissance de cause, pour la formule qui lui correspond le mieux... mais une chose est sûre : «Créateur ou repreneur, conclut Moreau, chef d’entreprise, c’est un sacré boulot !»
TEMOIGNAGES
MOREAU ALUMNO (salon "Vue sur l'Ill" à Strasbourg) :
"Je n'ai même pas envisagé une reprise"
«Pour moi, le lieu était déterminant, je misais beaucoup dessus ; je voulais vraiment faire quelque chose de personnalisé. Je n’ai donc même pas regardé les salons à reprendre ! J’ai trouvé un local assez vaste (130 m²), j’en ai fait un lieu où tout se vend : miroirs, meubles en dépôt-vente... J’ai souhaité mélanger plein d’atmosphères différentes. J’ai posé une tapisserie des années 60, tout en imposant un esprit «cyber salon», avec des ordinateurs. Le droit au bail, en 2001, a déjà représenté une somme conséquente... mais en cas de reprise, il aurait fallu financer l’achat du fonds et de gros travaux pour arriver à ce que je cherchais. Démarrer sans clientèle ne me faisait pas peur, car auparavant j’étais salarié à Strasbourg, je n’arrivais donc pas en terrain inconnu. De plus j’étais entouré d’une bonne équipe, et ça fonctionne : de 3, nous sommes passés à 8 aujourd’hui !»
FRÉDÉRIC VEAU ("La maison du coiffeur" à Nantes) :
"Un mélange sympa d'anciens et de nouveaux clients"
«Arrivant à Nantes, sans clientèle, j’ai préféré reprendre une affaire. Je ne voulais pas créer un salon de plus près d’un centre ville déjà saturé. De plus j’avais déjà pris la gérance de salons, et ça s’était bien passé. Le propriétaire de ce salon homme, autrefois très réputé mais qui vivotait, prenait sa retraite. Intérêt : il y avait peu de travaux à faire, il fallait surtout donner de la couleur et travailler la déco pour en faire un endroit mixte et convivial. Le potentiel était bon, avec 7 places de coiffage et des fauteuils anciens de salons homme. Je reprenais 2 salariées, il m’a fallu faire un gros travail de formation pour modifier leur façon de travailler. Bilan au bout de 7 ans : d’emblée, la présence de femmes a éloigné beaucoup d’hommes, surtout que mon salon est tout en longueur, il est impossible de prévoir des coins séparés. Au contraire, on plaisante en dédramatisant le côté «serviette sur la tête» ! Il y a aussi le fait que je travaille sur rendez-vous, et certains ne se sont jamais faits à l’idée de ne pas pouvoir être pris à tout moment. Mais les 20 % d’anciens clients qui restent, j’y tiens ! Ils ne viennent pas par habitude, mais parce qu’ils aiment le nouvel esprit. Ils nous parlent du quai de la Fosse d’autrefois, avec les bateaux... Avec la clientèle féminine, ça fait un mélange rigolo et sympa.»
L'Eclaireur