Le nouveau mode de calcul des rémunérations dans la coiffure fait parler, c’est le moins que l’on puisse dire. Entre nécessité de motiver les collaborateurs et réalité tangible des objectifs, les arguments s’affrontent. L’Éclaireur ouvre le débat !
Depuis le 1er août 2008, en vertu de l’avenant 13 à la convention collective, la rétribution de chaque collaborateur est devenue variable.
Le calcul se fait ainsi :
• fixation de l’objectif mensuel :
salaire conventionnel x 3,4 = objectif de chiffre d’affaires hors taxes
• calcul de la prime :
prime = (CA HT réalisé – objectif de CA HT) x 10%
Il s’agit bien sûr d’un minimum, tout chef d’entreprise étant libre de proposer un intéressement plus avantageux à son équipe. Revenons quelques années en arrière… Auparavant, la rémunération des collaborateurs se calculait de la façon suivante : on partait d’un pourcentage du salaire conventionnel auquel s’ajoutait un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé (le fameux « reversement de service »), cette somme n’étant versée que si elle s’avérait supérieure au salaire conventionnel. Sinon, le coiffeur se contentait de payer le minimum prévu par la convention. Vous suivez toujours ? En réalité, ce système avait aussi pour vocation de faire faire des économies de TVA à l’employeur, le « reversement de service » étant exonéré de cet impôt. Cette disposition a été supprimée en 2004.
Pour ce qui nous occupe aujourd’hui, l’avenant 13 a été signé, du côté patronal, par le Conseil national des entreprises de coiffure (CNEC) -mais pas par la Fédération nationale de la coiffure (FNC)- et par plusieurs syndicats de salariés. Pour Michèle Duval, du CNEC, syndicat promoteur de cet avenant, il s’agit ni plus ni moins d’un retour à la situation ancienne, au « reversement de service », exceptée, bien sûr, l’exonération de TVA. L’idée étant, évidemment, de « motiver et conserver les salariés ». Mais cette réforme fait des vagues. Parmi les principales critiques formulées : l’avenant 13, imposant une « base commune » à tous les salons, méconnaîtrait la diversité des situations, alors que nombre de ces derniers ont concocté eux-mêmes leurs méthodes d’intéressement. Pour beaucoup de salariés, la nouvelle réglementation ne changera rien, estiment certains, l’objectif de chiffre d’affaires tel qu’il est défini pouvant difficilement être dépassé dans les salons aux tarifs modestes, voire moyens, surtout dans le contexte actuel ! Enfin, la complexité est au rendez-vous, notamment pour les entreprises non encore informatisées, à cause de l’obligation de calculer chaque mois le chiffre d’affaires réalisé par chaque salarié. Quoi qu’il en soit, même si tous les syndicats ne sont pas signataires, le seuil de signatures requis pour une extension de l’avenant a été atteint : il est donc applicable à tous les salons depuis le 1er août dernier. Même si un délai supplémentaire (jusqu’au 1er novembre) a été accordé à ceux qui avaient déjà mis en place un système d’intéressement « maison », pour leur laisser le temps de vérifier laquelle des deux méthodes était la plus avantageuse pour leurs salariés. Reste que la question des bas salaires dans la profession -qui connaît, faut-il le rappeler, des difficultés persistantes de recrutement, et dont les salariés ont une faible « durée de vie » professionnelle- ne peut se régler d’un trait de plume… et qu’elle est directement liée à la situation financière des entreprises.
TEMOIGNAGES
« ON AIMERAIT TOUS PAYER NOS SALARIÉS PLUS QUE LA MOYENNE ! »
Jean-Marc Joubert , 16 salons à Paris et en province
«Cette nouvelle disposition, personnellement, je m’en moque, car j’ai mis en place depuis longtemps un système d’intéressement dans mes salons. Les objectifs sont fixés selon les prix pratiqués, la palette de services, le lieu… Ce qui signifie que dans ce domaine, chacune de mes affaires est autonome. Pour moi, cet avenant, c’est une prise de conscience, une première pierre apportée à l’édifice. A vrai dire, je ne suis pas sûr que cela change grand-chose : je ne connais pas un patron coiffeur qui ne veuille pas mieux payer ses salariés, leur donner plus que la moyenne, pour attirer les meilleurs ! Mais une entreprise qui ne fait pas de bénéfices est morte, il nous faut serrer les boulons à tous les niveaux. »
« UNE COTE MAL TAILLÉE »
philippe thouron, délégué national au dialogue social et paritaire à la fnc
«Du côté de la Fédération, nous jugeons que la convention collective est là pour fixer les minima de chaque niveau ; libre ensuite à chaque coiffeur d’élaborer un système d’intéressement. Que les organisations professionnelles les aident dans cette démarche, pourquoi pas ? Mais le cadre conventionnel s’adapte difficilement à la diversité des situations. Cet accord, c’est une cote mal taillée. Concrètement, une entreprise qui a déjà mis en place un système d’intéressement devra calculer quel dispositif (conventionnel ou élaboré en interne) est le plus rémunérateur pour ses salariés, et ce, chaque mois ! Sur le terrain, l’accord peine à se mettre en place. Il complexifie beaucoup les choses. Or, n’oublions pas que nombre de salons sont de petites affaires, pas forcément informatisées ! »
« SOUVENT, IL N’EXISTAIT MÊME PAS D’INTÉRESSEMENT »
Max Colléatte, 13 salons « Max’s » et 27 salons « Chic et Choc » dans le nord et l’est
«Pour moi, cet avenant constitue un premier pas, car dans de nombreux salons, aucun intéressement n’était prévu : les gens nous le disent lorsque nous embauchons. Au moins, cela ouvre une possibilité. Nous ne l’avons pas mis en place, car ce que nous proposons à nos salariés (prime trimestrielle ou mensuelle selon les cas) est plus intéressant pour eux. Cela dit, je pense que ce système est avantageux surtout dans les salons haut de gamme, qui pratiquent des prix élevés. Car dès que le coefficient du salarié prévoit un fixe relativement ”important”, l’objectif devient difficile à atteindre et à dépasser. »
« DES CONDITIONS MINIMALES D’INTÉRESSEMENT POUR TOUS »
Michèle Duval, secrétaire générale du CNEC
«Depuis la suppression du ”reversement de service”, il n’existait… plus rien dans la coiffure ! Dans certains salons, aucune politique d’investissement n’était prévue ; dans d’autres, les objectifs étaient irréalistes, impossibles à atteindre ; ailleurs, l’”ancien système” avait été conservé, bien sûr en s’acquittant de la TVA. Là, il s’agit de mettre en place des conditions minimales d’intéressement pour tous afin de motiver et garder nos salariés. La formule retenue ne doit rien au hasard : elle a été calculée en se basant sur différentes données, entre autres la fiche moyenne en France (de 31 à 33 euros selon nos chiffres), le nombre moyen de clients. Et que l’on cesse de parler de ”petits salons”, certains d’entre eux s’en sortent mieux que les ”grands” ! »
« DES SALARIÉS DÉMOTIVÉS ET PERÇUS COMME NON RENTABLES »
André Blandin, à la tête du cabinet de conseil en management ABM Consultants (Dinan)
«D’abord, il faudrait m’expliquer comment on a calculé ce chiffre de 3,4, ce qui le justifie. Il existe déjà des dizaines de systèmes d’intéressement, primes, etc. Pourquoi donc en imposer un ? Cette formule n’est pas opérationnelle sur l’ensemble du marché et concerne surtout les salons qui pratiquent des prix élevés. Ce que je redoute, c’est que nombre de salariés soient démotivés et perçus comme non rentables, car ils n’atteindront pas leurs objectifs. Autre problème, la périodicité mensuelle de l’intéressement : c’est une erreur fondamentale ! La dimension cyclique de l’activité coiffure n’est pas prise en compte. Et quelle complication pour la petite entreprise ! »