Parmi les multiples casquettes que doit enfiler le patron d'un salon, il y a celle de recruteur. Et ce n'est pas toujours la plus facile à porter ! Recruter c'est, d'abord, trouver les bons canaux pour toucher les candidats potentiels. C'est aussi savoir démêler, en entretien, le vrai du faux, déceler la personne intéressante. Et aussi, "vendre" son salon, car on le sait, les bons collaborateurs ont le choix.
Petite annonce, mais aussi intérim, écoles, ANPE, tous les moyens sont bons pour dénicher la perle rare. Sans oublier de mettre à contribution l'équipe !
La classique affichette collée en vitrine, c'est bien, mais pas forcément suffisant. La petite annonce reste un vecteur classique : presse locale en province, presse professionnelle (L'Eclaireur... bien sûr !). Encore faut-il, pour qu'elle soit efficace, soigner la rédaction. Pas de fausses économies, après tout, une petite annonce, c'est un investissement. "Rech.coif.conf.", ce n'est pas cela qui va drainer les foules! Un encadré, une présentation succincte du salon, avec sa localisation exacte ("en centre commercial"), ses points forts ("spécialiste du soin"), une définition précise et informative du poste à pourvoir ("polyvalent", "intéressement"), c'est tout de même plus vendeur ! L'équipe est un vivier précieux. Dans le milieu, la cooptation marche bien. "Je verse une prime au salarié qui me présente un bon collaborateur", affirme Carlos Guerreiro. "Après tout, le commercial qui ramène une affaire a droit à une commission !" Mieux vaut cependant attendre que la période d'essai soit terminée...
Autre possibilité : faire appel à une agence d'intérim. "L'intérim a toujours été un tremplin pour l'emploi, analyse Rosiane Dupertuys, à la tête d'ICB (Intérim Coiffure Beauté), l'agence spécialisée dans la coiffure et l'esthétique. Aujourd'hui, la loi nous donne en plus le droit de faire du recrutement en direct." La présence d'un intérimaire lorsqu'on a besoin de renfort peut constituer une période d'observation mutuelle. "Si pour certains de nos intérimaires cette forme de travail est un choix de vie, poursuit Rosiane Dupertuys, pour d'autres c'est le moyen de rencontrer l'employeur chez qui ils se fixeront." D'autant que la loi a élargi les possibilités de recours à l'intérim : "cela peut désormais aussi être un moyen de remplacer un salarié parti en formation, précise Rosiane Dupertuys. Dans ce cas, la Direction du Travail et de l'Emploi rembourse à l'entreprise le salaire de l'intérimaire à hauteur de 50 % du SMIC."
Cela dit, cette bonne vieille ANPE n'est pas inutile pour autant. Loin de ne rassembler que des "bras cassés", elle est aussi un point de passage dans certains parcours : déménagement pour suivre un conjoint, retour après une interruption, problème d'âge... pour des candidats parfois très motivés ! A ne pas négliger non plus : les relations avec les écoles de la ville. Internet et les sites d'offres d'emploi prennent aussi une importance croissante.
Enfin, l'idéal est de se constituer un vivier de candidats potentiels (voir les témoignages). Candidatures spontanées, rencontres intéressantes lors de stages, de soirées coiffure... plutôt que de ranger aux oubliettes CV et coordonnées, on prend le temps de rencontrer les gens, d'approfondir... et lorsque le besoin s'en fait sentir, on a déjà une "CVthèque" toute prête !
Amener le candidat à dévoiler sa véritable personnalité, tel est le but de l'entretien.
"En matière d'entretien de recrutement, les collaborateurs ont une longueur d'avance sur les patrons de salon", déclare tout de go Isabelle Arnoux, à la tête de la société de formation Dont'Acte. "Ils se sont formés, ont lu des livres... Du coup, ils ne disent pas ce qu'ils sont, mais ce que la personne en face d'eux veut entendre." Souvent, c'est le salarié potentiel qui mène l'entretien !
La solution ? Faire parler le candidat. Mais sans se contenter de réponses téléphonées d'avance. Première règle: on privilégie les questions ouvertes (supposant une réponse développée) aux questions fermées (appelant une réponse type oui ou non). "J'ai coutume de dire qu'avec les questions fermées, le manager obtient les réponses qu'il mérite !", sourit Isabelle Arnoux. Il est vrai que si on demande : "Etes-vous ponctuel ?", il y a peu de chances d'entendre autre chose que "oui". Il faut donc aller un peu plus loin. "Faire des mises en situation, par exemple", conseille Isabelle Arnoux. "Imaginons qu'il se passe telle ou telle chose au salon... comment réagissez-vous ?" Voire même : "qu'est-ce que vous attendez du salon ? qu'est-ce que vous ne supporteriez pas dans une entreprise ?" Autant de questions amenant inévitablement le candidat à dévoiler sa personnalité (voir le témoignage de Carlos Guerreiro). "N'hésitez pas à approfondir sur l'expérience du candidat : précédents postes, trous dans le CV..." conseille Laure Limousin, responsable du développement et de la formation à l'ICB. "Il faut savoir rebondir sur ce que dit la personne : telle coiffeuse s'est arrêtée pour élever ses enfants ; qu'a-t-elle ensuite fait comme stages pour se remettre à flot ?"
Attention aussi à observer le "langage non verbal" : c'est aussi, voire plus important, que ce qui est dit. Nombreux gestes sur le visage, bras croisés... le corps délivre des signes. Il existe d'ailleurs des formations au recrutement dans les stages de management pour les coiffeurs.
Ce qui doit alerter ? "Pour de jeunes collaborateurs, le fait d'avoir travaillé de nombreuses années dans le même salon sans chercher à évoluer", répond Rosiane Dupertuys. "A l'inverse, quelqu'un qui est resté très peu de temps dans chaque entreprise, c'est suspect." Louches aussi, les longues périodes d'interruption ; ou alors, il faut pouvoir les justifier (éducation d'un enfant, tentative de changer de métier...) "Les questions ouvertes qui n'appellent que des réponses évasives, les tentatives du candidat pour entraîner le patron sur un autre terrain...", complète Isabelle Arnoux.
De toute façon, on n'hésite pas à appeler les anciens employeurs ; aujourd'hui, c'est une pratique tout à fait admise. Pas de gêne non plus à demander les justificatifs (diplôme, travail... les baratineurs, ça existe !)
Aujourd'hui, les bons collaborateurs ont le choix : le manager doit leur donner envie de travailler chez lui !
Première étape : l'accueil téléphonique. "Il est souvent consternant !" s'exclame Laure Limousin. "Dans les stages de recrutement, nous prenons des annonces au hasard pour faire des "appels mystère" ; parfois même nous appelons dans les salons des stagiaires. L'équipe n'est même pas au courant qu'un recrutement est en cours, elle ne pense pas à prendre le numéro du candidat, le responsable répond entre deux clients, d'une manière expéditive..." Or, un contact téléphonique raté peut dissuader le candidat d'aller plus loin.
Au cours de l'entretien, il faut absolument évoquer l'aspect "formation", dont les coiffeurs sont très demandeurs ; les perspectives à l'horizon de quelques années (encadrer les techniciens, devenir bras droit du manager...)... bref, tout ce qui peut motiver un futur collaborateur. Bien sûr, si on sait pouvoir le tenir ! "A l'inverse, certains managers ont tellement envie d'engager la personne qu'ils en arrivent à "survendre" leur entreprise", avertit Isabelle Arnoux. "Personnellement, je conseille de fonctionner sur le mode "j'attends/j'offre", de "donner du sens" en parlant des valeurs de l'entreprise : façon dont fonctionne l'équipe, dont se positionne le salon vis-à-vis de la concurrence, rôle du manager... Car quel que soit le temps qu'il reste dans l'entreprise, un collaborateur n'oubliera jamais le premier entretien".
Et, si une journée ou demi-journée d'essai est prévue, on prend le temps d'accueillir le candidat, de lui décrire en quelques mots le fonctionnement du salon ; on fait un point à mi-course. Enfin, de plus en plus, Internet a la cote : avoir son site (s'il est bien conçu), c'est valorisant pour un salon. Et les candidats s'y connecteront avant l'entretien !
"Et au moment de la décision finale, conclut Laure Limousin, on résiste à la tentation de se faire plaisir : ce n'est pas forcément celui qui affiche un passé de coiffeur studio qui a le profil le plus adapté aux besoins du salon !"
RUDY DESRUMEAUX (Six salons Karl Lorentz dans la métropole lilloise)
"Se constituer un vivier de candidats"
"L'ANPE n'a pas forcément une bonne image, et pourtant nous avons fait des recrutements très positifs par ce biais : notamment des gens de 40 ans et plus. En général, il s'agit de personnes qui ont eu un salon mais n'ont pas fait de bonnes affaires, ou alors qui ont interrompu leur carrière, par exemple pour élever leurs enfants. Ravis de retrouver un travail, ils sont très motivés.
Sinon, lorsque je reçois une candidature spontanée intéressante, même si je n'ai pas un besoin immédiat je me mets en relation avec le candidat, je lui envoie un courrier. Ce qui me permet de le recontacter lorsque je recherche quelqu'un ! Parfois, je suis bien tombé, pile au moment où le collaborateur voulait changer. Personnellement, je dois avoir une pile de 5 ans de CV reçus ! D'ailleurs, lorsqu'on recrute un coiffeur expérimenté titulaire du BP, et qu'on lui dit : "Je me souviens de vous, vous vous êtes présenté chez nous en tant qu'apprenti", ça le touche toujours qu'on se rappelle de lui.
Pendant l'entretien, je décris le fonctionnement du salon et l'évolution, dans mes affaires, des gens qui ont commencé à leur niveau. Je crois qu'il faut donner des perspectives d'évolution aux collaborateurs, baliser leur futur parcours, c'est déterminant."
TEMOIGNAGES
CARLOS GUERREIRO (Six salons dans la région de Dreux et de Chartres)
"Révéler la personnalité du candidat"
"Quand je reçois un CV intéressant, je fais venir la personne même si je n'ai pas de besoin immédiat. Je garde un dossier sur le candidat : attention, pas seulement le CV, mais un compte-rendu par écrit de l'entretien. Outre celles, plus classiques, sur la coupe, la technique, la revente, je leur pose des questions qui les incitent à se dévoiler, type : "Quels sont, à votre avis, vos points forts et les points à améliorer, en termes de pratique professionnelle ? Et au niveau de votre personnalité ?" Ou bien : "Comment vous voyez-vous évoluer demain ? Et dans un futur plus lointain ?" Encore plus pointu : "Qu'est-ce que vous pouvez me dire de vous, qui m'incite à vous choisir plutôt qu'un autre candidat ?"
Bien sûr, le but n'est pas de déstabiliser la personne qu'on a en face de soi, mais plutôt de l'amener à se révéler. Et ça marche ! La façon dont ils répondent traduit beaucoup de choses sur leur personnalité.
A ceux qui recherchent un poste comportant des aspects "management" (responsable de salon, bras droit du responsable...), je demande de me raconter une situation positive et une négative. C'est-à-dire une journée au cours de laquelle ils ont rencontré un problème (dans la motivation d'une équipe, l'organisation d'un challenge...) et comment ils ont réussi à le résoudre ; et au contraire, une situation qu'ils n'ont pas su régler, et pourquoi, à leur avis, ils n'y sont pas arrivés.
Je rentre ces infos sur ordinateur et de temps en temps, j'envoie un courrier type : "Nous nous permettrons de vous informer si une place se libère..." Car il ne suffit pas de se constituer un vivier de candidats, encore faut-il le faire vivre !"